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Généalogie à la Désirade (Guadeloupe)

Félicien

L'an mil huit cent quarante le dix décembre à huit heures du matin, Pardevant nous Tancrede BELLOC, maire de la commune de St François, le sieur Charles MEDUS, agé de vingt et un ans, sans profession, déclare que le nègre Félicien agé d'environ seize ans, esclave du sieur ROBIN de la Désirade et qu'il louait, est décédé sur l'habitation de Monsieur Charles NERON BEAUCLAIR dite Bellevue le neuf de ce mois à onze heures du matin.

Je ne sais pas si le rédacteur de l'acte considérait comme évidente l'identité de ce sieur ROBIN mais il y a plusieurs candidats, comme Jean Baptiste Julien ROBIN (1778-1845) ou son fils Michel Julien ROBIN (1813-1859). Il y a également ses neveux, Michel ROBIN (1808-1884) ou Henry Olympe Théodore ROBIN (1813-1865), tous deux fils de son frère Benjamin ROBIN (1771-1820).

On peut envisager que c'est plutôt Jean Baptiste Julien ROBIN. Il faudrait que je vérifie si Jean Baptiste Julien ROBIN était appelé ROBIN fils mais de mémoire, ce n'est pas le cas. Cependant, son cousin Henry Olyme Théodore ROBIN signait ROBIN jeune alors que Michel ROBIN est parfois dit ROBIN aîné. 

Décédé à la fin de l'année 1840, Félicien s'était certainement vu attribuer un numéro matricule mais à cette époque ce numéro n'est pas encore consigné dans les actes du registre des esclaves de Saint-François. On les observe en marge des actes dès le début de l'année 1841.

A la Désirade, ils apparaissent à partir de l'acte de décès de Jean Louis à la date du 27 mai 1841, porté sous le n° 326 du registre de recensement. Ce registre de recensement est appelé registre matricule à compter de l'acte de naissance d'Athanase du 6 juillet 1842.

Charles NERON BEAUCLAIR est un habitant propriétaire important. Il ne semble pas administrer directement son habitation dite Bellevue dans les années 1830. Né vers 1780 (au Moule si on en croit son acte de décès), Charles Pierre NERON BEAUCLAIR meurt à Saint-François le 8 mai 1866, veuf de Marie Adélaïde Elisabeth PETIT. Son père est inhumé à Saint-François le 14 octobre 1780. Il était capitaine de dragons au bataillon du Moule. Sa mère est décédée le 18 décembre 1808 à la Désirade.

En fait, Pierre Charles NERON BEAUCLAIR est baptisé à Saint-François le 24 décembre 1780. Il est né le 23 juin de la même année. Il a deux parrains et deux marraines :

- Pierre Etienne SERGENT, lieutenant de milices, son oncle, et Pierre Jean François NERON BEAUCLAIR son frère.
- Marie Charlotte BEAUCLAIR, sa tante, épouse de François Nicolas DE VIPART, commandant la noblesse de l'île, et Marie Marguerite DESBOIS BOISSULANT, sa cousine germaine. 

Le second parrain et la seconde marraine ne savent pas signer, ce qui indique qu'ils sont jeunes et pourrait expliquer ce parrainage double.

Le 25 avril 1840, Charles NERON BEAUCLAIR, 59 ans, habitant propriétaire, déclare la naissance de Charles, fils naturel d'Augustine, 25 ans, sans profession, né le 19 du même mois, dans la case qu'elle occupe sur l'habitation du déclarant dite Biendésiré.

Charles MEDUS, né vers 1819, n'est inconnu. Pourtant, j'ai l'impression d'avoir déjà rencontré le nom MEDUS  J'aurais pu penser qu'il était géreur mais la mention sans profession est sans ambiguïté. Je me demande pourquoi il a loué un esclave de la Désirade. Félicien était-il un esclave spécialisé ?

Les esclaves qui sont placés ainsi par leurs maîtres sont avant tout des esclaves "à talent", notamment des artisans pour lesquels il n'existe pas une occupation permanente sur l'habitation, mais on trouve aussi des esclaves des champs. Dans certains cas, cette pratique leur permet de se créer un pécule. 

Après des recherches, je réalise que c'est tout simplement dans le relevé que j'ai fait des affranchissements de Saint-François que j'ai rencontré le prénom Médus. Le 3 février 1836 a lieu l'enregistrement de l'affranchissement, suite à un arrêté du gouverneur du 4 janvier de la même année, de Mondezir, 20 ans et 9 mois, Médus, 16 ans et 9 mois, Carolus, 12 ans et 9 mois. Tous les trois sont tailleurs.

Leur liberté a été sollicitée par le sieur Charles nous apprend la séance du Conseil privé de la Guadeloupe du même 4 janvier 1836. C'est lui qui présenté l'arrêté à l'officier de l'état civil et il est dit "est Comparu Le Sieur Charles Econome Sur L'habitation du Sieur Charles Beauclair". Curieusement, étant donné son métier, il ne sait pas signer.

Je suppose que Charles les a reconnus et que Médus a adopté son prénom comme nom de famille et qu'il fallait comprendre Médus CHARLES et non Charles MEDUS dans l'acte de décès de Félicien .J'ai recherché un acte de reconnaissance par Charles entre 1836 et 1840 et j'ai trouvé mieux. Le 14 août 1837 est célébré le mariage de Charles TORIN et d'Adélaïde. L'officier de l'état civil avair eu la bonne idée de mentionner dans la marge  "et Reconnaissance de leurs trois Enfans Medus, Montdesir et Carolus".

A la requête de Charles TORIN, l'officier de l'état civil s'est transporté avec les registres de l'état civil sur l'habitation dite Bellevue, "Appartenante a Monsieur Néron Beauclair, Ce Par Cause d'infirmité de La Demoiselle Adélaïde que j'ai trouvé Atteinte d'un Rhumatisme intense Général, et Alitée dans une des Chambres de la Maison Occupée Sur la dite habitation, Par le Sieur Charles Torin".

Charles TORIN dispose visiblement d'un logement de fonction de plusieurs pièces. Il dit âgé de 49 ans, économe sur la dite 'habitation Bellevue, natif de ce quartier (Saint-François) et y domicilié. Adélaïde a 51 ans et est sans profession. Elle est également native de Saint-François. Ils ont été affranchis. Les quatre témoins, dont Pierre Charles NERON BEAUCLAIR, sont des notables.

La date de leurs affranchissements n'est pas donnée. Après vérification, ils ont été affranchis ensemble par un arrêté du gouverneur du 3 avril 1834, transcrit à l'état civil le 19 mai 1834. Charles, 45 ans et 4 mois, et Adélaïde, 48 ans et 4 mois, natifs du quartier de Saint-François. Leur liberté a été demandée par Ch. NERON BEAUCLAIR, qui est présent à l'enregistrement de leur affranchissement.

Médus THORIN se marie le 6 février 1866 au Moule avec Francillette dite Yeyette THORINIUS. Il a 44 ans et est propriétaire. Ses parents sont décédés. Le patronyme de la future épouse interpelle immédiatement. Il a clairement été formé à partir de celui de son compagnon, soit lors de son affranchissement, soit de son enregistrement comme nouvelle citoyenne.

Sans profession, elle est fille majeure de parents inconnus (elle a 49 ans) et est née au Moule. Il n'y a pas d'affranchissement à son nom au Moule. En fait, elle y est inscrite sur le registre des nouveaux libres du Moule le 20 avril 1850 avec un fils, Charles François Constant, âgé d'environ 16 ans et natif de Saint-François.

Au mariage, Médus THORIN et Francillette dite Yeyette THORINIUS légitiment une fille et un fils, nés respectivement en 1851 et 1853, mais pas cet enfant. A noter qu'ils ont passé un contrat de mariage à la date du 1er février 1866 chez Me Furcy DOUILLARD, notaire à la résidence du Moule.

Il apparaît donc que c'est un fils de l'économe de l'habitation Bellevue qui est venu déclarer le décès de Félicien, ce qui rend cohérent le lieu du décès. Impossible d'en savoir plus sur Félicien, sans la découverte d'un dénombrement  sur lequel il figurerait à la Désirade sur une habitation d'une branche de la famille ROBIN. Son prénom n'étant du tout pas porté sur l'île, il y a peu de chance de tomber sur un homonyme.

J'allais terminer cette notice sur ces mots quand je me suis rappelé que j'avais rédigé une notice sur les esclaves mentionnés dans le contrat de mariage de Michel ROBIN et Marie Joseph Herminie FAYETTE, native de la Martinique, du 3 août 1835. Parmi les esclaves de la future épouse, il y a Félicien, 8 ans, câpre, estimé 400 francs. Né vers 1827, peut-il se confondre avec Félicien (vers 1824 - 1840), décédé à 16 ans à la fin de l'année 1840 ? Dans ce cas, le sieur ROBIN serait Michel ROBIN (1808-1884).

En 1835, le jeune Félicien est en Martinique. On peut penser que Michel ROBIN a fait venir les esclaves martiniquais de son épouse. J'avais noté que Michel ROBIN déclarait le 10 décembre 1840 à la Désirade le décès survenu la veille sur son habitation de "son nègre felixien âge de douze ans". La date est exactement la même que celle du décès de Félicien à Saint-François.

Il y a plusieurs points problèmatiques si on veut être rigoureux. Déjà sur l'idenfication de Félixien en tant que l'enfant cité dans le contrat de mariage. La mention de couleur n'est pas la même mais on a d'autres exemples similiaires où elle varie d'un acte à l'autre. L'âge étant approximatif, je ne considère pas qu'une naissance vers 1827 pour Félicien en 1835 et vers 1828 pour Félixien en 1840 puisse être un critère significatif.

Toutefois, la différence de quatre ans entre les actes de décès de Saint-François et de la Désirade est plus conséquente. Sur l'habitation Bellevue, son âge exact n'était peut-être pas connu et on l'aurait estimé sur son physique ? Averti oralement du décès de Félicien, Michel ROBIN aurait fait l'habituelle déclaration à la Désirade ? La formule sur son habitation est employée systématiquement dans tous les actes de décès de cette période (sauf pour ceux du camp des lépreux), donnant l'impression d'un modèle systématiquement reproduit.

Un indice soutient l'hypothèse de l'arrivée de Félicien de la Martinique. Parmi les autres esclaves martiniquais évoqués dans le contrat de mariage, il y a Andria. Elle est qualifiée de câpresse et a un an. Or, sur le registre des nouveaux libres de la Désirade, il y a l'inscription de Louise dite Andréa le 21 juillet 1851. Elle a environ 15 ans et non seulement, elle est native de la Martinique mais également est dite ayant demeuré chez ROBIN aîné. Elle reçoit le nom FIRLIN.

On peut supposer que ces esclaves martiniquais (Anne, 46 ans, Alexandre, 20 ans, Alexandrine, 15 ans, Félicien, 8 ans, Auguste, 3 ans, et Andria, 1 an) constituent une famille en 1835,  famille composée d'une mère et de ses cinq enfants. Ils sont tous dits câpres. Malheureusement, je n'ai pas été capable de les repérer.

On trouve une Alexandrine FIRLIN à Saint-François mais l'âge ne correspond pas (il y a une différence d'environ 4 ans). Elle s'y marie le 15 juin 1861 avec Alcindor CINDORIN, 56 ans, cultivateur. Elle est âgée de 37 ans, cultivatrice, née à la Martinique, fille majeure naturelle de père et mère inconnus. Ils sont domiciliés au hameau Bellevue. Ils légitiment un fils, Alexandre FIRLIN, né le 6 juillet 1855. A cette époque, Alexandrine FIRLIN a 31 ans, donc née vers 1824.

Lors de son inscription sur le registre des nouveaux libres le 20 décembre 1848, elle est dite âgée de 25 ans, née à Saint-François, domestique chez le citoyen Eleazar ZIZI, dans le bourg, recensée n° 7347. Elle reconnaît pour son enfant naturel Lucile FELICIN, déjà inscrite à l'acte n° 728. 

C'est en fait sous le n° 728 bis que Lucile FELICIN est enregistrée le 27 septembre 1848. Elle a 11 mois et est née à Saint-François, demeurant dans le bourg où elle était recensée sur la feuille du citoyen Eleazar ZIZI sous le numéro 7687. Elle est inscrite avec son père, Félicien FELICIN, 38 ans, né en Afrique, cultivateur de l'habitation Malgrétout, et sa demi-soeur Félicité (auparavant Cité) FELICIN, 13 ans.

Lucile FELICIN est née à Saint-François le 22 et déclarée le 23 octobre 1847 sur le registre des esclaves. L'acte confirme le nom de leur maître, lequel a 34 ans et est charpentier, et leurs numéros matricules. Le numéro 7347 indiquerait une inscription vers novembre 1845. Eléazar dit Zizi avait été affranchi à l'âge de 20 ans en 1833. Il était déjà charpentier. Il n'est pas mentionné comme propriétaire d'autres esclaves sur ces registres allant de 1840 à 1848.

L'acte de décès d'Alexandrine FIRLIN, décédée le 17 avril 1871 dans une chambre qu'elle occupe au bourg et sise Morne de la Batterie, indique qu'elle avait 47 ans et était servante. Elle est dite née à la Martinique de parents inconnus. Alcindor CINDORIN est en vie. Il a 65 ans et est cultivateur propriétaire. On peut penser qu'elle était effectivement originaire de la Martinique.

Est-ce qu'Alexandrine FIRLIN, qui est dite de "caste noire" à la naissance de sa fille en 1847, pourrait être la même personne qu'Alexandrine, câpresse, née vers 1820 et vivant encore en Martinique en 1835 ? le patronyme FIRLIN donnerait envie de les relier mais ce n'est pas suffisant.

Je n'ai pas encore retrouvé la trace de Louise dite Andréa FIRLIN après son inscription comme nouvelle citoyenne. En outre, je n'ai rien sur Anne et ses fils présumés Alexandre, né vers 1815, et Auguste, né vers 1832. Mon hypothèse, sans preuve, est que ce dernier est décédé en bas âge, soit à la Martinique ou à la Guadeloupe.

Anne et Alexandre ont-ils été envoyés à la Guadeloupe ou sont-ils restés à Martinique ? Je ne suis pas encore parvenu à consulter les actes d'individualité de Rivière-Salée d'où est native Marie Joseph FAYETTE et où ses parents sont décédés pour rechercher leur trace. En Guadeloupe, il n'y a que Louise dite Andréa et Alexandrine à avoir reçu le patronyme FIRLIN.

Madame DERMONSIR, que je remercie beaucoup, a trouvé l'acte de décès de Louise dite André FIRLIN à  octobre Pointe-à-Pitre à la date du 7 octobre 1896. Elle est décédée la veille à sept heures du soir à l'Hôtel-Dieu où elle était entrée le 5 du même mois.  Elle est dite âgée d'environ 60 ans, née et domiciliée en la commune de la Désirade, sans autres renseignements. Pas de filiation donc et un lieu de naissance erroné. Les actes des décès survenus dans les hospices de l'île sont très souvent incomplets et/ou comportent des erreurs majeures..

En complément, Charles THORIN avait des esclaves. Le 19 juin 1840, Charles THORIN, 53 ans, géreur, déclare la naissance de Rosine, fille de Félicie,  18 ans. Le 28 octobre 1844, Charles THORIN, 58 ans, économe, déclare la naissance de jumelles, Rosine dite Lodoïska et Neucrère (Nécrèce dans la marge) dite Surélie, nées la veille, filles de Félicie, 23 ans, recensée sous le n° 3515. Le 1er novembre 1844, le même (mais il n'a plus que 57 ans) déclare le décès, le jour précédent de Clotilde, 23 ans, recensée sous le n° 3516. Le 21 janvier 1846, il déclare la naissance d'Elizabeth, une autre fille de Félicie, née la veille.

 

COPYRIGHT DAVID QUENEHERVE

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